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2016-05-01T12:51:38+02:00

" Le djihad des femmes, c'est d'être de bonnes épouses"

Publié par nadinedesseaux

Qu'est-ce qui les attire?

Quelle place ont-elles?

Sont-elles nombreuses?

 

 

La chercheuse Fatima Lahnait, auteure du rapport "Les femmes kamikazes, le djihad au féminin", tente de nous éclairer.

 

propos recueillis par Caroline Laurent-Simon pour Elle (fin décembre 2015)

 

 

Ancienne professeure d'histoire en banlieue parisienne - "dans des classes où il n'y avait qu'un livre pour trente élèves" - , Fatima Lahnait a acquis la conviction que l'enseignement peut jouer son ro^le de rempart au sentiment d'exclusion, mais uniquement "si on met les moyens pour donner les mêmes chances à tous les jeunes citoyens de la République". Devenue chercheuse, fine observatrice de la géopolitique du monde musulman, des questions d'intégration et de la lutte contre la radicalisation des jeunes, elle rencontre, à ce titre, des filles et des garçons tentés par les dérives djihadistes. Auteure d'un éclairant rapport sur les "femmes kamikazes, le djihad au féminin" pour le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Fatima Lahnait prévient:"Tant qu'on ne se posera pas la question fondamentale de savoir pourquoi des jeunes Occidentaux décident de quitter leur pays pour partir en Syrie rejoindre Daech, on ne pourra pas lutter efficacement contre leur radicalisation." interview.

 

ELLE. Avez-vous été surprise lorsqu'on a déclaré que Hasna Aît Boulahcen, la femme décédée dans l'appartement de Saint-Denis le 18 novembre, était une kamikaze (avant de finalement découvrir qu'elle n'était pas une)?

Fatima Lahnait. Qu'il y ait eu une femme ne m'a pas étonnée, mais qu'elle soit kamikaze, si. Cela aurait été une première dans l'histoire de Daech. J'ai pensé qu'elle avait pu actionner la ceinture dans un geste de défense pendant l'assaut, se disant"je ne veux pas être prise vivante". Mais qu'elle ait été formée dans le but d'agir ultérieurement en tant que femme kamikaze, non, cela différait trop du modus operandi habituel de Daech. Cette organisation n'a - pour l'instant - jamais utilisé de femme dans ce rôle.

Elle. Pourquoi dites-vous que Daech ne se sert pas - encore - de femmes kamikazes?

F.L. L'utilisation de femmes kamikazes n'est qu'un ultime recours, toujours pour des questions stratégiques: parce qu'une femme attirerait moins la suspicion, tant les préjugés veulent qu'elle "n'oserait pas/n'envisagerait pas" de se transformer en bombe humaine. Pour la plupart des organisations extrémistes violentes, le rôle des femmes se résume au soutien, elles ne sont pas sur la ligne de front ni dans les opérations armées. Daech aurait recours aux femmes kamikazes si les recrues masculines venaient à manquer, ce qui, malheureusement, n'est pas le cas.

Elle. A quoi leur servent principalement les femmes?

F.L. Daech a une vision et un discours misogynes. Comme le vante la propagande de l'organisation, les femmes sont surtout là pour "élever les futurs lions de l'Islam dans l'amour du djihad". Elles sont destinées à approvisionner les "agences matrimoniales" de Daech, leur djihad à elles, c'est d'être de bonnes épouses, de bonnes mères. Celles qui arrivent sur place et qui ne sont pas -encore- marièes sont cantonnées dans des appartements et des maisons, à Raqqa et ailleurs, où elles vivent en groupe en attendant de l'être. Ce sont les hommes qui combattent. les femmes engagées dans les mouvements terroristes des années 80 et 90 étaient perçues comme porteuses d'un idéal de résistance: pour certaines Palestiniennes et tchétchènes, le désespoir était là, elles disaient vouloir combattre l'occupation ou venger la mort d'un mari, d'un frère, d'un fils tué au combat. Les motivations des femmes qui rejoignent le djihad aujourd'hui sont totalement différentes: elles partent en Syrie pour remplir une fonction, assez rétrograde, d'épouse et de mère aux côtés d'un combattant qui - disent les recruteurs - leur offrira une vie paisible et comblée. C'est ahurissant que des jeunes femmes en soient là.

ELLE. Pourquoi aspirent-elles à ce statut?

F.L. Les explications sont multiples. Certaines sont en crise identitaire, en quête d'un sens à donner à leur vie. Elles remettent en question leur entourage, leur environnement ou encore l'image et la place de la femme dans la société. Pour d'autres, ce sont peut-être des failles psychologiques, des vides affectifs qui favorisent l'endoctrinement, à l'image de ces adeptes de sectes, issus de tous milieux sociaux, éduqués, qui coupent avec leur mode de vie, leur entourage et la société. Daech leur tend la main. Joue sur les failles. Tout tourne autour du martyre de l'homme (les femmes ne peuvent atteindre le statut de martyre) et de la fierté de la veuve dont l'époux est décédé sur le champ de bataille. C'est ce qu'elles revendiquent en ligne, elles sont très optimistes, célèbrent les martyrs. La réalité doit être tout autre. On sait qu'elles sont encouragées à afficher cet "enthousiasme" sur les sites djihadistes et sur les réseaux sociaux, pour répandre la propagande. Mais postent-elles vraiment elles-mêmes ces messages? On ne sait pas.

ELLE. Samra Kesinovic, une jeune Autrichienne qui avait rejoint Daech en avril 2014, aurait , selon le "Kronen Zeitung", été récemment assassinée après avoir tenté de fuir l'organisation...

F.L.Quand les jeunes filles et jeunes femmes attirées par les recruteurs arrivent en Syrie, c'est la désillusion: ce n'est pas du tout ce à quoi elles s'attendaient. Beaucoup d'entre elles oublient qu'elles se rendent dans une zone de conflit! Ayant grandi dans les pays européens, avec un minimum de confort et une liberté de mouvements, elles découvrent des conditions de vie auxquelles elles ne sont pas habituées. Certaines circulent et font des allers-retours entre la Syrie et l'Europe, mais d'autres sont cloîtrées, violées, torturées physiquement et mentalement. Rares sont celles qui réussissent à s'enfuir. Tout témoignage négatif nuiraient à la propagande de Daech et donc au recrutement.

 

ELLE. Qu'apprend-on des messages que ces recrues féminines postent sur Facebook ou Twitter?

F.L. Pour les plus jeunes, ils révèlent une très grande naîveté. On a le sentiment qu'elles croient au message qu'elles transmettent. On retrouve cette naîveté dans les commentaires. J'ai consulté le blog d'une jeune femme de 19 ans partie en Syrie. Enceinte, elle avait posté la photo de son échographie. Il y avait de nombreuses internautes qui disaient:"Mais moi aussi je veux un bébé! J'ai hâte de venir, comment faire? " Les plus âgées semblent être investies d'une mission, dans une logique d'endoctrinement sectaire: elles embrigadent d'autres femmes pour leur "salut". Daech joue beaucoup sur l'imagerie féminine afin d'inclure le plus de gens possible dans la construction de l'Etat islamique. Chacun, chacune a une mission dans l'instauration de"ce grand dessein qu'est le califat".

ELLE. Dans votre rapport "femme kamikazes, le djihad au féminin", vous en avez recensé plus de 220, impliquées dans 15% des attentats commis entre 1985 et 2005. Le nombre est effarant!

F.L. Sana Khyadali, une jeune Libanaise de 15 ans , membre du parti nationaliste syrien, a été la première à commettre un attentat suicide au Proche-Orient, en pleine guerre civile libanaise: le 9 avril 1985, elle a précipité sa voiture piégée contre un convoi de militaires israéliens. On ne devrait pas s'étonner de l'implication des femmes dans des actes de violence. Les femmes terroristes ont toujours existé, que ce soit au Proche-Orient, en Asie ou en Europe. Les kamikazes sont en majorité âgées de moins de 30 ans - les femmes plus mûres sont rares dans les mouvements terroristes. On observe qu'elles ne sont jamais responsables de la planification des opérations suicides qu'elle vont devoir accomplir et qu'en général elles sont envoyées en "mission" avec très peu de renseignements.

ELLE Le groupe islamiste armé nigérian Boko Haram utilise de nombreuses kamikazes, et ntamment des fillettes: la plus jeune avait à peine 8 ans. Ces enfants ne sont évidemment pas librement candidates à un tel acte.

F.L. Qui dit que les détonateurs ne sont pas actionnés à distance? Ou qu'elles ne sont pas droguées? Cela vaut aussi pour les plus âgées. Parmi lesquelles certaines peuvent vouloir venger un mari mort au combat, et d'autes, être victimes du syndrome de Stockholm, qui leur fait "épouser" la cause de leurs ravisseurs. Certaines captives sont aussi rejetées après leur libération, pour avoir été violées et être revenues enceintes. Stigmatisées, ce sont des proies facilement utilisables par Boko Haram.

ELLE Craignez-vous , dans le climat actuel, l'apparition de femmes kamikazes qui seraient à la solde de Daech?

F.L. Cet acte reste un tabou, y compris pour Daech. Mais si, pour des raisons stratégiques, l'organisation décidait d'y avoir recours et accordait un statut conséquent à la kamikaze - en faisant d'elle officiellement une "martyre" - cela créerait un précédent et risquerait d'inspirer d'autres femmes. Sans sombrer dans la paranoîa, nous pouvons nous attendre à tout. De jeunes Français souscrivent à 'idéologie violente de daech et combattent dans ses rangs, et, celaaussi, c'était encore inimaginable il y a peu.

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